En souvenir de Richard Dunhill
Publié à l'origine dans Pipes & Tobaccos magazine 2016 et utilisé avec l'aimable autorisation de l'auteur. Cette version est inédite.
Mis à disposition par Yang Forcióri et traduit par Jean-Christophe Bienfait
En souvenir de Richard Dunhill par Ben Rapaport
Richard Dunhill, petit fils du fondateur de la "Alfred Dunhill Ltd" est décédé le 26 août 2016, à l'âge de 89 ans, après y avoir travaillé durant 68 ans. Il est entré dans l'entreprise en 1948, y a travaillé en tant que directeur durant 28 ans puis PDG pendant 27 ans, supervisant ce colosse de taille mondiale, entreprise verticalement intégrée, fournisseur de tout premier ordre d' "articles pour fumeurs" et de produits de luxe depuis plus d'un siècle : ses produits sont disponibles dans 21 pays, dans plus de 100 boutiques de détail, dont 70 sont des boutiques Dunhill. Cette marque est si reconnue à l'international qu'entre 1924 et 2005 sept livres ont été publiés sur son histoire et sur sa production éclectique.
L'information qui suit est du domaine public. Richard fut un ancien maître de la Worshipful Company of Tobacco Pipe Makers and Tobacco Blenders (Honorable Compagnie des fabricants de pipes et de Tabac), membre honoraire de l'Académie Internationale de la Pipe, et "Fumeur de l'Année 2002" du British Pipesmokers' Council (Conseil des Fumeurs de Pipes Britanniques). C'était un philanthrope, qui subventionnait la Alfred Dunhill Links Foundation, un organisme de charité qui lève des fonds pour de nobles causes, y compris la recherche sur le cancer de la prostate. C'était un innovateur, source d'inspiration pour divers ensembles de pipes tels "companions" ou ""Seven-Day", des évènements spéciaux ou des pièces uniques telle la pipe Tour Eiffel de 3,5 M$, bordée d'or, de diamants, saphirs et rubis. Il a imaginé la Confrérie du White Spot (Fellowship of White Spot) un bulletin d'information gratuit sur l'histoire et le patrimoine de la pipe Dunhill.
Mais j'ai connu Richard Dunhill en tant qu'homme, pas en tant que magnat de l'industrie. Mes rapports avec les Dunhill ont commencés à la fin des années 60 alors que j'étais en Argentine. J'avais reçu un cadeau inespéré, une copie dédicacée de la première réimpression du Pipe Book : "Au major Benjamin Rapaport, avec mes sincères salutations, Alfred [H.] Dunhill.” Alors que j'étais à Londres en 1982, j'ai demandé une audience à Richard afin de lui rendre la pareille avec une copie de mon livre, "A Complete Guide to Collecting Antique Pipes", et, égoïstement, pour en apprendre davantage sur la grande collection particulière de pipes anciennes et de livres sur le tabac dont j'avais eu connaissance par mes lectures. (Dix ans après, Richard devait réitérer avec une copie de " Alfred Dunhill, One Hundred Years and More"). Ce geste, et le fait que son épouse était argentine alors que j'avais rencontré la mienne à Buenos Aires, acheva de rompre la glace. Il était attachant, modeste et chaleureux dans notre discussion à bâtons rompus. Je me souviens encore de sa vision de l'art de fumer : "Le tabac c'est comme le sel. L'excès vous tue, le manque ne vous vaut rien, et la bonne mesure est bénéfique". J'appris que ses passions étaient le jardinage et le backgammon, et quil nourrissait un profond intérêt pour l'histoire de la pipe sous toutes ses formes, ce que son grand père avait initié dans les années 20 : réunir une exceptionnelle collection d'ustensiles à fumer, et une bibliothèque impressionnante de brochures des tout débuts, de traités, et de livres sur le tabac. Il assistait souvent aux ventes aux enchères londoniennes pour saisir l'occasion d'avoir une pipe ancienne à ajouter à la collection.
En janvier 2000, à la demande de Richard, je retournais le voir pour procéder à une évaluation de sa bibliothèque tabacologique. Lorsque je lui demandais pourquoi, il répondit que les livres et les pipes pourraient le cas échéant être vendus, décision prise j'imagine, par la compagnie holding, la Compagnie Financière Richemont S.A. Cette annonce était un affront pour Richard qui avait un intérêt personnel -et familial- dans l'entretien et l'enrichissement de ces deux collections, qui devaient être conservées, et non monétisées. Le 12 mai 2004, Christie's de South Kensington, mena l'enchère qui dispersa tout à l'exception des archives de l'entreprise.
La troisième fois que nous nous rencontrâmes fut au congrès de l'Académie International de la Pipe à Windsor, en Angleterre, en 2001. Il semblait différent, sombre, détaché, et peu intéressé par les comptes-rendus. Quinze années s'étaient passées depuis notre dernière rencontre lorsque j'ai appris son décès dans les premiers jours de septembre 2016. Au cours des années nous correspondions à l'occasion, et je me considère comme très chanceux d'avoir figuré au nombre de ses nombreux associés américains. Après tout, je n'étais pas un revendeur autorisé "White Spot". ..Je n'étais même pas dans le commerce du tabac.
Mon opinion personnelle est que, qui que ce soit qui reprenne le flambeau chez Dunhill, il devra faire davantage que de porter un costume d'un tailleur de Saville Row et des brogues de chez John Lobb. Il devra incarner les attributs, les caractéristiques et la personnalité de Richard. Richard Dunhill était trop respecté pour qu'on l'oublie.