Les Fausses Dunhill Des Annees 80
LES FAUSSES DUNHILL DES ANNEES 80 © JOHN C LORING : used by permission
Contributed and translated by Jean-Christophe Bienfait
Les changements et même les quelques bouleversements qui s’emparèrent de la très conservatrice maison Dunhill commencèrent au milieu des années 70. Lane Limited, y compris la gamme de pipes Charatan, fut acquise en 1976 et au début des années 1980 les usines Dunhill furent réorganisées, un certain nombre de pipiers licencié et il y eut beaucoup de mécontentement parmi ceux qui restaient. Mais avec cette fusion, il n’y eut pas que quelques pipiers à disparaître, mais également des outils, des griffes, de la bruyère brute, et quelques têtes inachevées qu’on avait mises de côté dans les stocks de l’usine. Et à la fin de la journée de travail, ceux qui étaient encore employés et ceux qui n’avaient plus d’emploi se retrouvaient au pub pour discuter de l’injustice de tout ça.
A la même époque de l’autre côté de l’Atlantique naissait un étrange nouveau hobby, la " collection de pipes de bruyère déjà fumées " avec les Dunhill comme joyaux de la couronne de ces pionniers américains de la collection de pipes. Très vite il y eut des Pipe Show, des listes de commandes, des soirées animées au téléphone et même des visites en Angleterre pour sauver de la poubelle des pipes déjà fumées. On paya des centaines, voire des milliers de dollars pour des Dunhill utilisées, promptement renommées " Estates", les prix les plus hauts étant payés pour les plus grosses et les plus anciennes.
Et voilà comment se passa, à notre sens, ce qui fut notre tempête du siècle : en Angleterre il y avait des pipiers de Dunhill et Charatan mécontents avec les moyens à portée de main et en Amérique des collectionneurs affamés avec de l’argent plein les mains. Pas besoin de dire que d’une façon ou l’autre, la connexion se ferait.
Un des tous premiers signes en 1983 peut bien avoir été une Dunhill LC bien réelle du début des années 20 au sablage usé, à la tige abîmée et avec une nomenclature assez peu lisible. Une tige réduite de ¼’ (0,6 cm), une mortaise refaite, un tuyau de remplacement plus long qui lui correspondait, la pipe reteinte et remarquée avec une griffe " empruntée " de la Seconde Guerre Mondiale qui ne manquait à personne, et pour " le petit bonus ", un marquage avec les très rares lettres " LLC ". Un " L" supplémentaire qui ferait oublier à n’importe quel collectionneur le sablage usé et reteint et la tige coupée.
Mais pourquoi tourner autour du pot et perdre son temps à traquer des pipes rares et abîmées pour les refaire et les transformer quand au lieu de ça vous pouvez en faire des neuves. Tout particulièrement alors que les connaissances de base de ce nouveau domaine de la collection étaient encore limitées et mêlées au mythe. Mis à part les formes ODA communes, il y avait peu d’exemples concrets de pipes de très grandes dimensions. On considérait les Magnum comme des raretés peu communes qui se comptaient sur les doigts d’une seule main, peut être les deux au mieux. On pensait que les A, B, C des ODA, ODB et ODC correspondaient respectivement à América, Bermuda et Canada. Dater un numéro de brevet d’une Dunhill prenait des airs de divination. Les premiers catalogues Dunhill étaient indisponibles dans une large part et certains n’avaient absolument pas été étudiés. Et plus important à cette époque personne n’avait encore fabriqué une pipe qui "ressemblait à une Dunhill et sentait comme elle", sauf bien entendu Dunhill.
Et ainsi en 1984, après qu'une présentation privée eut rencontré le succès, le grand début fut vraiment la première exposition de l’année organisée par l’un des principaux collectionneurs de l’époque. Trente pipes en tout y compris 4 shell presque magnums portant des numéros de forme extrêmement rares ou jusqu’alors inconnus, trois « LC » de finition lisse, deux Root et une Bruyere, dont l’une avec un numéro de forme inconnu auparavant, trois ODA non fumées, extrêmement rares, une Bruyere et une Shell 844 et une Shell 824, un certain nombre d’ODA recherchées dans des finitions variées, souvent non fumées, et deux impressionnantes Canadiennes supposément d’avant la Seconde Guerre Mondiale, chacune longue de 9 pouces (20 cm) avec une tige de 5 ¾ (14,6 cm), une Bruyere avec un petit fourneau de 1 ¾ de pouces (4,44cm) de haut et une Shell avec une tête de taille moyenne de 2 ¾ de pouces de haut (6,98 cm). Rien de pareil n’avait jamais été vu, ni même imaginé auparavant. Il est à peine besoin d’ajouter que cette exposition se vit remettre une distinction et la Shell Canadian fut désignée « Best of Show ».
La plupart d’entre elles, y compris les deux impressionnantes canadiennes étaient des faux.
Les pipes et des milliers et des milliers de dollars en cash changèrent de main au fur et à mesure que l’étalage se vidait. Et fait remarquable, dans les mois suivants on vit sortir des Dunhill également rares et inhabituelles et même des Charatan.
Mais il y en avait qui dès le début, avaient des soupçons et comme les détails demeuraient douteux, la fraude fut découverte à temps. Le "collectionneur de billets de banque" disparut de la scène, son nom devenant tabou dans les conversations civilisées alors que les innocents collectionneurs bernés se retiraient pour panser leurs plaies, parfois importantes. Quelques-uns furent assez courageux pour détruire leurs faux chèrement acquis. La plupart des autres les mirent de côté. Et pour certains l’expérience fut si amère qu’ils abandonnèrent définitivement la collection.
Outre Atlantique, la connaissance de la fraude, limitée à ces collectionneurs américains excentriques, resta largement inconnue. Quelques pipes encore non expédiées furent tranquillement mises de côté et tout cet épisode désolant fut oublié au milieu de l’excitation que créaient des deux côtés de l’Atlantique deux nouveaux dans le domaine de la pipe anglaise de première qualité, Ashton et Upshall.
Tout compris, peut-être cinquante ou même 75 fausses " vieilles Dunhill "» furent concernées. Assez peu significatif en termes de nombre. Mais, étant donné la qualité de la falsification et leur prétendue rareté, elles n’étaient pas de moindre importance. Pour de nombreuses années, une fois les collectionneurs bien avertis de la déroute, et les pipes litigieuses détruites ou mises de côté, ce fut suffisant pour que tout le monde récupère tranquillement. Mais au fur et à mesure que le temps passait, que les collectionneurs vieillissaient et que la mémoire collective faisait défaut, innocemment ou non ces pipes ont commencé à sortir de l’ombre.
Vers la fin des années 90 un commerçant lors d’un voyage d’affaire en Angleterre en dénicha deux qui n’avaient jamais fait les Etats-Unis. Il les reconnut pour ce qu’elles étaient et lorsqu’il retourna en Amérique eut l’honnêteté de les vendre comme telles. Alors que des collectionneurs âgés liquidaient leurs collections, d’autres faux sortaient du couvert pour être également vendues pour ce qu’elles étaient. Mais, plus troublant, dans les dernières années on en a vu une ou deux sur e-bay proposées à un ou deux ans d’intervalle pour des vraies. Et même plus alarmant, par le bouche à oreille, plusieurs pièces d’une « collection » ont été sans succès, (au moins quand ces lignes sont écrites) proposés à la fois en Amérique et à l’étranger, encore comme des vraies, et à des prix importants. Il est du coup important pour quiconque d’essayer de prodiguer quelques conseils, et ayant eu l’opportunité d’avoir en main plus de deux douzaines de ces pipes, je vais essayer de le faire.
D’abord, il faut bien comprendre que l’on parle dans la plupart des cas de pipes de première qualité vendues en connaissance de cause comme étant des faux et évaluées facilement et constamment à des centaines de dollars. En fait en une occasion j’avais proposé pour l'une d'entre elle un millier de dollars, et il y a une autre qu'à ce jour, tout bien considéré j'aurais évalué à deux fois son prix. Dans la plupart des cas ces pipes étaient fabriquées avec de la bruyère Dunhill par des pipiers ou d’ex pipiers Dunhill et la plupart du temps c’étaient des faux seulement au sens où elles portaient de faux marquages qui les dataient d'avant les années 80 et souvent les identifiaient à tort comme des formes rares. Ou d’un autre côté, pour la plupart de ces pipes, il n’aurait pas été faux de les considérer uniquement comme de simples Dunhill du début des années 80, ou de façon peut-être plus juste, similaires à la meilleure qualité des alternatives aux Dunhill anglaises des années 80, comme Ashton ou Upshall.
La seconde chose qu’il faut comprendre c’est qu’on ne parle pas ici des Dunhill habituelles. A tout le moins, ces pipes, étaient censées être des formes rares d’ODA, de LC, ou de pipes inhabituellement grosses qui si elles étaient authentiques ne vaudraient pas moins de quelques centaines de dollars et souvent plusieurs milliers. En d’autres termes s’il vous arrive de voir, comme je l’ai fait l’autre jour, une Dunhill Gr 4 non fumée, qui ne semble pas tout à fait "comme il faut", avec une nomenclature irrégulière, à laquelle il manque le code date, et achetée pour 20 euros dans une boutique d'antiquités irlandaise, vous êtes très probablement en train de contempler un faux, mais bien loin de jouer dans la même catégorie que les fausses Dunhill des années 80.
Ceci dit, lorsqu’e vous tenez en main une prétendue rareté de chez Dunhill à deux mille dollars, jetez un coup d’oeil à la nomenclature pour repérer la date et la forme mais d’abord concentrez-vous sur la pipe elle-même pour entamer un processus d’identification qui en général consistera a accumuler de petits bouts de données justificatives qui s’additionneront puis en définitive vous conduiront à une conclusion sûre.
D’abord et avant tout, demandez-vous, étant donné le code date, si cela semble plausible. Une petite magnum type LB Root semi grain droit haute de 2 ¼” (5,7cm) de 7” de long (17,8 cm) colle bien avec une " Collector " des années 80 mais assez peu avec une Dunhill Root de 1936. De même une prétendue Canadian OD de 1937 de 7” long (17,8 cm) avec un haut foyer chimney en finition Bruyere et un look globalement années 80 semble complètement déplacée en tant que pièce des années 30.
Un bon nombre de ces faux des années 80 prétend dater de la Seconde Guerre Mondiale, une époque où la capacité de production était limitée, la bruyère était limitée, les possibilités d’exportation étaient limitées, et le marché domestique c.a.d. anglais, préférait les pipes de petite taille. Après le Blitz qui détruisit en grande partie la boutique londonienne de Duke Street, et pour les années de guerre restante les clients faisaient la queue dehors dans l’espoir d’acquérir n'importe quelque pipe. Dans ce contexte, l'essentiel de ces faux des années 80, qui prétend dater de cette période de guerre, et taillés dans une bruyère qui aurait pu fournir deux pipes plus petites, voire plus, fait plutôt tache.
Les caractéristiques du sablage Dunhill ont changé au fil des années et ces changements peuvent être nettement parlant étant donné le style de sablage superficiel et délicat des années 80. Par conséquent c’est pour le moins difficile de passer d’un sablage des années 80 à ceux de l’époque des années 20 ou de la première moitié des années 50 où prédominaient les sablages ravinés et profonds. Et bien que les comparaisons deviennent moins nettes quand on les rapproche des sablages des années 30 et de la deuxième moitié des années 50, les différences peuvent au moins permettre d’éveiller les soupçons. (il est important de noter qu’à la différence des plus petites pipes, le sablage des pipes magnum des années 30 continue à présenter le sablage raviné des années 20).
Un aspect du style particulier de bon nombre de ces fausses Shell des années 80, c’est l’épaisseur des parois en haut du fourneau, qui offre également un point de repère utile car les têtes aux parois épaisses sont excessivement rares parmi les premières Dunhill Shell. C’est vrai même des magnums patent, qui bien que plus grosses que la moyenne des pipes du type LC, voyaient les parois de leurs grosses têtes qui tendaient à s’affiner vers le haut.
En bref, bien qu’on doive toujours avoir à l’esprit que tout est possible, lorsque la pipe ne semble pas s’accorder à la période à laquelle elle est supposée avoir été taillée, les feux d’avertissement doivent commencer à clignoter.
Et quand ces feux d’avertissement commencent à clignoter, la règle fondamentale est de regarder la pipe et de demander tranquillement au vendeur s’il peut vous en dire plus sur la provenance de la pipe. Les pipes à mille dollars et plus ne sont pas chose commune et le moins que vous puissiez attendre d’un vendeur qui demande ce niveau de prix c’est de se souvenir comment il a eu la pipe et peut-être de pouvoir en dire un peu plus. Un exemple pervers c’est celui d’une fausse Shell 844 des années 80 pour laquelle on peut remonter à travers ses sept propriétaires successifs jusqu’à son premier vendeur, frauduleux. Ce que vous devez rechercher c’est un retour en arrière sûr qui, soit vous ramène au minimum aux années 70, soit vous entraîne loin des cercles de collectionneurs jusqu’à un fumeur de pipe ordinaire qui par hasard a fait l’acquisition d’une pipe extraordinaire. A défaut de cela, les clignotants d’avertissement doivent s’intensifier.
Regardons ensuite la forme de la pipe en regard du prétendu marquage de code forme. L’exemple le plus flagrant des exemples de faux des années 80 que je connaisse à cet égard est celui d’une Oom Paul à fond plat d’une taille presque magnum avec une tête de 2 pouces ¾ (6,69 cm) marqué comme une très rare " LY ". En fait la vraie " LY " est une groupe 4 plutôt grosse (ou à l’inverse une groupe 5 plutôt petite) avec un tuyau ¾ bent et un fond arrondi. On trouve également une série de taille très grande jusqu’à être proche de magnum marquée avec des marquages commençant par un " H "par exemple " HLP", " HB ", " HP" tous ces marquages jamais rencontrés ailleurs que sur ces faux. En bref, au moment de rédiger un chèque de deux mille dollars, si vous trouvez que le code de forme frappé sur la pipe que vous chérissez ne correspond pas aux exemples des catalogues ou par ailleurs est inconnu, rangez votre stylo pour un examen plus approfondi. Quelques formes de Dunhill ont changé légèrement au fil du temps et la plupart des formes Dunhill, mais pas toutes, (particulièrement les codes de forme en lettres) a été décrite dans les catalogues mais une variation extraordinaire dans la forme ou une absence sur les catalogues doit au moins éveiller l’attention (il faut noter qu’au début des années 80 Dunhill sortit d’assez grandes pipes (plutôt inhabituelles) avec des codes de forme commençant par un " H ", par exemple la " HNL " une churchwarden courbe avec un fond rond qui se dévissait. Cependant on peut facilement faire la différence car elles portent toutes des codes date de milieu des années 70 et plus tard, alors que les faux des années 80 prétendent toujours dater des années 60 ou auparavant. A mon avis une bonne règle de conduite à suivre c’est que toute « grosse » pipe portant un code de forme commençant par un " H " et prétendant dater des années 60 ou d'auparavant doit éveiller le soupçon d’un faux).
L'étape suivante de l'examen c’est de chercher les défauts. La fausse Shell ODA 844 dont j’ai parlé plus haut est une pipe d’exception avec un ring grain remarquable (j’ai dépensé plusieurs centaine de dollars pour elle) mais elle a aussi un profond " bac à sable" (sandpocket) qui bien que presque caché l’aurait probablement conduite à être " dégradée " et laissée de côté par Dunhill après le sablage. Une autre fausse 844, une Bruyere avec un fond biseauté douteux, montrait après un examen approfondi de sérieux défauts dans la bruyère que le biseau rattrapait seulement partiellement, il est impossible que Dunhill ait en toute connaissance de cause laissé achever cette pipe dans l’usine et encore plus l’ait laissé vendre sous son nom. On trouve un défaut de type différent sur une fausse 847 Bruyere qui comparée à une authentique montre à l’évidence que la tête a été raccourcie d’1/8’, sans nul doute pour éliminer un défaut. Je soupçonne fortement que chacune de ces fausses ODA provient de têtes inachevées " dégradées " par Dunhill en cours de production durant les années 50 et 60, dérobées ensuite dans les stocks de têtes non finies de l’usine puis finies au début des années 80.
Un autre élément de votre recherche de défauts sur les pipes lisses peut se trouver dans la finition : c’est ainsi que j’ai trouvé dans les faux de 1980 deux Bruyere avec une finition Bruyere " qui ne va pas ". La couleur et la profondeur sont inadéquates, davantage comme une bonne peinture de carrossier par rapport à la peinture d’usine d’une voiture. Et pour poursuivre votre recherche des défauts d’une pipe, il est encore opportun de lever la tête et de demander au potentiel vendeur s’il est au courant d’un défaut sur la pipe – tous les vendeurs de pipe ne vous donneront pas ce genre d’information si vous ne le demandez pas, mais peu d’entre eux garderons pour eux ce qu’ils savent si vous le demandez, particulièrement lorsque vous êtes en train d’examiner la pipe. Rappelez-vous également que tous les vendeurs n’ont pas examiné soigneusement la pipe qu’ils sont en train de vendre. Mais ça ne fait pas de mal de demander.
A la différence d’autres, qui admettons-le ont un oeil plus affuté, j’hésite en général à tirer des conclusions sur l’apparence des tuyaux Dunhill car Dunhill a toujours été heureux de personnaliser les tuyaux pour ses clients et dans tous les cas l’usure en elle même peut les modifier. Mais je cherche ce que le point blanc peut révéler. Alors que sur un faux j’ai vu un point qui n’était pas de la bonne taille, j’ai surtout trouvé plusieurs faux où l’agrandissement montre que si le point est de taille correcte, il est légèrement ovalisé. Je n’ai jamais rencontré de point ovalisé sur des tuyaux originaux, sans doute parce que l’usine a toujours utilisé les outils appropriés. D’un autre côté j’ai appris de mon expérience personnelle que poncer à la main pour obtenir un point de taille correct, bien rond (en fait c’est un cylindre) est un boulot important, que je n’ai jamais pu totalement réussir. Bien sûr un point ovalisé indique seulement un tuyau qui n’est pas original, pas obligatoirement une fausse Dunhill. Mais ce peut être un élément de preuve important, plus particulièrement lorsque par ailleurs la pipe semble être peu fumée et en parfaite condition ("pristine ").
Avant de se tourner vers la nomenclature, on doit également considérer l’aspect d’ensemble de la pipe. La plupart des faux des années 80 est arrivé en Amérique comme des pipes non fumées, en parfaite condition. Mais pas toutes, et de toute façon à présent la plupart ont été au moins un petit peu fumées. Aussi une pipe fumée, et même bien fumée, qui montre une certaine usure n’est pas une garantie d’authenticité. Bien plus sur un certain nombre des faux que j’ai vu les marquages n’étaient pas fortement appuyés et donc la nomenclature de ces pipes a tendance à apparaître plus usée qu’elle ne l’est en réalité. D’un autre côté, si l’usure n’est pas une garantie, le manque d’usure est suspect. Les faux de 1980 sont tous supposés dater d’avant les collections de pipe de bruyère. C’est-à-dire une époque où les pipes étaient achetées pour être fumées tous les jours, polies chaque semaine chez le marchand de pipes et trop souvent cognées partout entretemps. Tous les fumeurs de pipes de ces temps anciens n’étaient certainement pas aussi barbares, mais à tout le moins des pipes dans un état exceptionnel qui prétendent dater de cette époque, doivent raisonnablement soulever des doutes.
D’ordinaire la nomenclature Dunhill était (et reste) marquée " en bloc " de lettres plutôt qu’avec des mots ou des lettres séparés. Par exemple pour les pipes de finition lisse de la première moitié du 20ème siècle, un outil marquait en une seule frappe le MADE IN ENGLAND, la nomenclature du brevet (patent) et le code de date. Cette griffe devait être changée chaque année pour donner le nouveau code de date. De la même façon pour les Shell un seul outil en une seule frappe marquait DUNHILL SHELL, MADE IN ENGLAND, la nomenclature du brevet et le code date. Cet outil de la même façon était changé chaque année pour intégrer le nouveau code de date.
Il y a eu aussi bien sûr des circonstances particulières, et les outils adaptés, par exemple quand l’espace de marquage sur la pipe était limité. De la même façon durant la Seconde Guerre Mondiale, lorsque le changement annuel de griffes était difficile à obtenir, de nombreuses pipes au moins durant quelques années de guerre furent marquées avec une griffe à laquelle manquait le code de date. Mais l’utilisation de ce type de marquage sur des pipes correspondant à un groupe 6 ou plus doit toujours faire naître des soupçons car des pipes de cette taille ont toujours amplement la place de porter un marquage et comme évoqué plus haut des pipes de cette taille sont douteuses dans le contexte de la Seconde Guerre Mondiale.
En ce qui concerne les faux des années 80 que j’ai examinés, il semble que les pipiers aient eu un accès très limité aux griffes de marquage Dunhill et ont dû faire leurs marquages à la main sans qu’il y ait eu là de vice particulier. Ceci conduit certains marquages à faire naître automatiquement des soupçons.
La petite Root LB magnum et l’OD bruyere chimney longue de7 " évoquées plus haut semblent avoir été marquées par la même personne. Plus précisément les deux sont marquées " MADE IN ENGLAND " [au-dessus] " PATENT No 417574 " avec la ligne inférieure s’étendant sous la ligne supérieure et suivie par un code date souligné de la même taille de caractères, dans un cas 16 et dans l’autre 17. Ce marquage est trompeur à au moins (je peux le préciser) quatre titres. D’abord, dans les années 30 le code date était d’une police de caractères plus petite que les lettres ou les chiffres qui précédaient ; ensuite les code date étaient toujours au bout de la ligne la plus courte (qui dans ce cas aurait dû être la ligne supérieure plutôt que l’inférieure) de manière à égaliser les deux lignes ; en troisième lieu, sur les deux pipes le code date est manifestement marqué à la main et n’appartient pas à une griffe de marquage unique, et enfin en 1936 et 1937 PATENT était abrégé en PAT par rapport au 417574 pour qu’ainsi la ligne inférieure du marquage qui reprenait le numéro de brevet 417574 soit toujours plus courte que la ligne du dessus. Etant donné que j’ai rencontré ce marquage fallacieux sur deux pipes, on peut deviner qu’il y en a eu d’autres.
Deux autres pipes en finition lisse que j’ai vues, prétendument d’avant 1952, l’une supposément une Root "LC" et l’autre prétendument une Bruyere "LP" (sic, quoi que ça puisse être, la pipe ressemble à une LC) se distinguent par ce qui n’est pas là, à savoir que le bloc complet MADE IN ENGLAND, numéro de brevet et code date manque. Il est invraisemblable que Dunhill ait pu laisser sortir des pipes telles que celles-là sans ce marquage. L’absence des marquages attendus doit toujours faire naître des soupçons, particulièrement quand comme pour ces deux pipes il y a objectivement assez de surface pour le faire.
Un marquage communément trouvé sur les fausses Shell de 1980 (autres que les ODA) est le marquage de la Seconde Guerre Mondiale évoqué plus haut auquel il manque un code date. DUNHILL SHELL MADE IN ENGLAND [au-dessus] PATENT No1341418/20. En soi même par tous ses aspects il s’agit d’un marquage Dunhill correct pour la période de guerre et comme il n’était plus utilisé depuis longtemps au début des années 80 il fut probablement plus facilement " embarqué " de l’usine. Cependant et de manière uniforme, à un degré ou l’autre sur tous les faux que j’ai vu qui portaient ce marquage celui-ci n’était pas marqué à l’horizontale comme c’aurait été le cas s’il avait été marqué à l’usine Dunhill, mais plutôt de travers, parfois légèrement, parfois de façon plus prononcée, avec le D de Dunhill au point le plus haut.
Les ODA Shell falsifiées que j’ai vues semblent en gros être correctement marquées. Il y en a quelques-unes avec des signes suspects. Bien évidemment ODA [au-dessus] de 834 en une police de caractère particulière recouvrant un ODA [au-dessus] de 824 dans une police différente. A noter également deux SHELL 844 fausses avec la partie la plus basse du D de ENGLAND coupée à un angle. Mais je soupçonne que dans tous les faux de 1980 il y a eu quelques fausses ODA datant d’après la période des "patent" et des formes qu’on pensait plus rares en 1980 mais qu’on n’a jamais décelé simplement parce qu’elles étaient faites à partir de têtes correctes et sans défauts avec les marquages appropriés. Déjà à proprement parler il n’y a pas vraiment à s’inquiéter, comme elles sont faites à partir de têtes correctes et sans défauts avec les marquages adéquats, entre tous les faux des années 80 elles ne sont fausses qu’au sens où elle n'ont jamais appartenu à la production officielle de Dunhill. En valeur, parce que ces formes ne sont plus désormais considérées comme particulièrement rares et parce que les faux de 1980 ont une valeur de collection en tant que tels, la différence est probablement minime si elle existe de quelque point de vue qu’on se place.
En dernier lieu en matière de nomenclature, bien que je n'ai jamais vu le marquage qui suit utilisé sur aucun des faux des années 1980 jusqu’ici, il y a un qui semble être une griffe de marquage Dunhill de 1937 qui dit : DUNHILL SHELL MADE IN ENGLAND [au dessus] PAT. No 41757417. Il est passé entre les mains d’un analphabète qui a utilisé ce marquage sur au moins trois différents fausses Groupe 4 à la finition lisse. Ces trois faux appartiennent à la même catégorie sans intérêt que le faux à 20 euros de la boutique de brocante irlandaise dont j’ai parlé plus haut, toutefois il existe une possibilité que cette griffe ait été au départ dérobée dans l’usine Dunhill au début des années 80 et peut être utilisée sur quelques-uns des faux des années 80.
Revenons maintenant à notre Dunhill rare à deux mille dollars : après avoir maintenant examiné soigneusement la pipe, sa nomenclature et en cours de route demandé au vendeur d’où elle venait et s’il lui connaissait des défauts, il est temps de faire un retour en arrière, de peser les différentes données accumulées et de se poser la question du départ : tout bien considéré, est-ce que ça va avec cette pipe ?
Le plus souvent vous répondrez par l’affirmative, d’autant que j’ai écrit au début que des faux des années 80, ’il n’y en avait pas tant que cela.
Mais que faire s’il s’avère que c’est un faux? Et que faire si, après avoir expliqué vos conclusions au vendeur il tombe d’accord avec vous et vous propose la pipe en tant que faux des années 80 à un prix raisonnable ? Et que faire si vous concluez l’affaire et que vous vous retrouvez avec le faux entre les mains ? Qu’allez-vous en faire ? Et ici je me trouve à la croisée des chemins avec quelques bons amis et des collectionneurs respectés. Car je crois qu’avec cette pipe entre les mains, votre première obligation envers vos camarades collectionneurs est de mettre un X en travers du D de Dunhill (chauffez une lame de tournevis avec un briquet pour faire un marquage en croix sur le D et le tour est joué). Ceci avertira les collectionneurs pour les temps à venir que cette pipe n’est pas une vraie Dunhill.
De manière générale, beaucoup n’ont pas fait ce choix et ont préféré fumer et apprécier ce faux parfait et quand ils en avaient assez, l’échangeaient avec un autre collectionneur de confiance sans rien lui cacher. Le problème tel que je le vois, c’est que parfois les collectionneurs de confiance ne sont pas si dignes de confiance. Que parfois quand les temps deviennent durs et que ce sont nos familles qui sont en jeu, ni vous ni moi ne sommes si dignes de confiance. Et parfois quand nous quittons ce monde sans préavis nos familles n’ont aucune idée du fait que l’une de nos pipes favorites est un faux. Et c’est ainsi qu’avec les meilleures intentions du monde nous pouvons voir d’en haut (ou d’en bas) que nous avons contribué à perpétuer une fraude vieille d’un quart de siècle. Aussi je suggère respectueusement que de même que nous devons à nos voisins de ne pas héberger un tigre qui pourrait se libérer en dépit de tous nos efforts, de même nous devons à nos camarades collectionneurs de marquer les faux des années 80 qui subsistent, qu’au moins ils ne ‘s’échappent pas’ pour qu’ensuite nous puissions les apprécier pour les pipes parfaites qu’elles sont et l’histoire intéressante qu’elles représentent.